C’est une évidence, cette crise sanitaire mondiale a été un révélateur de la grande dépendance du pays vis-à-vis de la Chine en matière de produits finis comme de composants. Il y a là forcément matière à réflexion pour nos entreprises et nos politiques. Comment repenser nos schémas de production et d’approvisionnement, le plus souvent basés sur des critères de massification et d’optimisation du coût du travail, pour réduire les risques de blocage de la supply chain ? Depuis quelques mois, à peu près tous les consultants s’accordent miraculeusement pour dire que le système « marchait sur la tête », qu’il faut raccourcir les circuits d’approvisionnement, en rapprochant les usines des consommateurs désormais prêts à payer un peu plus cher pour une production locale (c’est le cas dans l’agroalimentaire). Le thème de la relocalisation permet même à Arnaud Montebourg, l’ancien ministre du redressement productif de François Hollande reconverti dans le business « made in France », de faire son grand retour médiatique. Mais la réalité risque de mettre à mal cet élan collectif de patriotisme industriel, du moins dans un avenir proche. D’abord parce qu’il existe encore un différentiel conséquent du coût du travail entre les pays d’Asie et ceux d’Europe de l’Ouest. Ensuite parce que les grands groupes français auront toujours un intérêt à conserver des usines à proximité des bassins de consommation asiatiques (Chine, Inde, Indonésie), et que relocaliser en France implique, d’autant plus dans un contexte de crise économique, de pouvoir investir fortement dans l’automatisation pour ne pas (trop) augmenter le coût des produits. Sans oublier le problème lié à la perte de compétences de la France, depuis des années, sur certains processus industriels pointus. Sans doute que cette démarche aboutira, avec l’appui du gouvernement, à quelques relocalisations sur le territoire français dans des secteurs comme la pharmacie et les équipements médicaux. Pour le reste, la plupart des experts de notre communauté tablent sur une plus grande fragmentation et « régionalisation » des schémas d’approvisionnement mondiaux avec le passage d’un monosourcing guidé par la massification économique vers un multisourcing orienté résilience. Et cette évolution, qui prendra du temps, devra être arbitrée en fonction du caractère stratégique et de la valeur ajoutée de chaque produit ou composant. Ainsi, cette mondialisation régionalisée devrait plutôt ouvrir de nouvelles perspectives à des pays comme la Pologne, la Roumaine, la Turquie ou le Maroc… ainsi qu’à tous les cabinets de conseil en supply chain !
Jean-Luc Rognon