Le cygne noir est un concept inventé en 2001 par le statisticien Nassim Taleb pour désigner un évènement hautement improbable dont les conséquences sont gravissimes. Or un cygne noir, comme la pandémie traversée depuis deux ans, peut en cacher un autre : qui aurait cru il y a quelques semaines à la forte probabilité d’une invasion russe en Ukraine ? Quasiment personne, à part bien sûr Vladimir Poutine. Et pourtant... Au-delà du désastre humain qui frappe l’Ukraine de plein fouet, cet évènement et le train de sanctions économiques et politiques qu’il entraîne, ne seront pas sans conséquences sur les supply chains. A commencer par les filières agricoles et agroalimentaires, l’Ukraine et la Russie étant de très gros exportateurs de céréales, notamment de blé, ou d’huile de tournesol. D’ailleurs, des groupes français de l’industrie céréalière et laitière tels que Lactalis, Danone, Savencia, Soufflet ou Limagrain sont implantés dans les deux pays. Et le fait que la Russie soit le 3ème exportateur de gaz met non seulement en péril l’approvisionnement énergétique de l’Europe, notamment de l’Allemagne, mais aussi l’industrie des fertilisants azotés. C’est aussi un grand producteur de métaux tels que le cuivre (très utilisé en électronique et dans le bâtiment), le nickel (pour les batteries électriques et la fabrication de l’acier) et de platine (pour les pots catalytiques en automobile). Quant au néon exporté par l’Ukraine, il est employé dans l’industrie des semi-conducteurs. Les tensions s’étendent aussi au monde de la distribution, car des enseignes française notamment celles de la galaxie Mulliez comme Auchan, Leroy Merlin et Decathlon, sont présentes en Ukraine et en Russie, de même que les grands 3PL tels que FM Logistic et ID Logistics (en Russie). Sans oublier les risques d’une flambée de cyberattaques ou d’interruption des flux de transport sur les nouvelles routes ferroviaires de la soie entre la Chine et l’Europe et à partir des ports ukrainiens. Le mois dernier, le sondage de plus d’une centaine de professionnels de la supply chain dans le monde pour le dernier baromètre du cabinet Kyu Associés n’avait pas classé le risque géopolitique dans son Top 10. Pas plus qu’il ne l’avait fait début 2020 pour le risque sanitaire. Le propre d’un cygne noir est de n’être jamais là où on l’attend ! Jean-Luc Rognon